11 - Balad'expo Écoquartier : un quartier, une mémoire : Maurice Guerin

Présentation

Témoignage de M. Guérin 

Bonjour, est-ce que vous pourriez, s’il-vous-plaît, vous présenter ?

MG : Maurice Guérin, je suis Auscitain, arrivé à Agen en 1953, à l’âge de 18 ans. On est venu à Agen parce que Monsieur Cabaroque, le directeur de la Tuilerie Lartigue et Dumas, était âgé et prenait la retraite. Mon père avait fait l’école de céramique d’Auch alors il avait une bonne connaissance des tuiles. Il a été envoyé ici pour ‘relever la maison’ comme on dit. Alors c’est comme ça que l’on s’est retrouvé à Agen, au 112 avenue Barbusse, dans la maison de l’ancien directeur, au cœur de la tuilerie.

Comment était le quartier à l’époque, comment le décrieriez-vous ? 

MG : Je dirais que déjà le quartier était plus convivial, on se rendait service plus facilement. Il n’est pas question de sous, mais de relation humaine ; aujourd’hui cet esprit de partage existe un peu moins. Chez nous, l’ambiance était plutôt ouvrière : les employés circulaient presque tous à vélo, et comme des fous ! Pour traverser la barrière, les gars passaient entre les wagons à leur risque et péril !

Moi j’avais de la chance, j’habitais dans la tuilerie, alors quand j’avais fini mon boulot, je rentrais chez moi. Je traversais rarement la voie ferrée, ou alors c’était à pied. Il y avait plein de petits restaurants : il y avait le restaurant de l’Avenir où l’on mangeait très bien à l’époque et pour 3 F ou 4 F !

Pouvez-vous me raconter à quoi ressemblait une journée type ?

MG : Déjà on se levait tôt : on commençait à 5h pour s’achever à 13h. Le travail était manuel. Les gens commençaient à travailler dès l’âge de 14 ans. J’ai eu de la chance, j’ai été à l’école jusqu’à 16 ans puis j’ai commencé à travailler. J’étais à l’école libre de St Jean-Baptiste à Auch où c’était la rigueur et la discipline, mais il y avait des résultats à la fin : la politesse était innée chez vous ! A l’époque, on te disait ce que tu devais faire et tu ne posais pas de question ! A 17 ans mon père m’a envoyé faire le boulanger, on était à Auch encore. Je savais à peine monter à vélo, et je faisais les livraisons de pain à vélo. C’était du côté de halle aux grains, en face de la Poste. Je me demande encore comment je ne me suis pas tué ! 

Je fais 6 ans à la briqueterie et ensuite je passe le concours des P.T.T (Postes, Téléphones et Télécommunications) que j’ai obtenu. En 1960, je pars à Meaux, en Seine-et-Marne. Pour moi qui n’avait jamais pris le train ni rien, c’était un dépaysement. Heureusement que j’avais un copain avec qui j’avais fait mon service au Maroc qui est venu me chercher à la gare d’Austerlitz. Vous vous rendez compte, Maurice qui n’était jamais sorti de son trou, avec sa valise, à Paris ! Beaucoup d’autres standardistes n’ont pas eu ma chance et se sont retrouvés sur le trottoir ! Donc le premier soir j’ai couché chez lui et le lendemain je suis allé à Meaux. Après ça je passe un autre concours, en 1964, on m’attribue mon nouveau grade : agent de 1ère classe. Pour ce poste je suis envoyé à Chambéry. A Chambéry, comme les chambres étaient très chères, on est allé, avec mon épouse à Aix-les Bains. On venait de se marier. Là pareil…(rires) je ne sais pas si j’en parle de mon épouse (rires). On s’est retrouvé à Aix-les-Bains et c’était bien : on a passé du bon temps ! Je me souviens qu’on avait un petit deux pièces en centre-ville. Le samedi, comme on ne travaillait pas, on ouvrait la fenêtre et il y avait plein de restaurants autour de nous avec des chanteurs et des musiciens ! Il y avait deux orchestres gratuits ! Maintenant ça n’existe plus les orchestres gratuits. Pour parler de mon épouse, j’étais à Meaux mais je rentrais de temps en temps en vacances à Agen. Je suis rentré pour Pâques en 1963, et dans tous les quartiers il y avait des bals organisés. Alors j’y suis allé et c’est là que j’ai rencontré Annick. Annick travaillait à Saint-Hilaire chez les bonnes sœurs, elle était repasseuse. On s’est retrouvé au bal tous les deux et on a fait connaissance et on s’est marié deux ans après. Tous les ans, on avait le droit de faire des vœux, pour aller à tel ou tel endroit. Donc j’ai fait une demande pour aller à Agen. Je suis revenu à Agen en 1967. On a commencé par loger chez mes parents. Nous sommes de retour à la tuilerie.

Sept ans après, le quartier avait-il changé ?

MG : Pas beaucoup non. Malgré la fermeture des usines, le chômage n’existait pas : si tu veux manger tu te trouves un emploi. Il y avait beaucoup d’emplois dans l’agriculture mais payer à coups de bâtons mais l’avantage c’est que le gars était nourri et logé. Je trouve qu’on était moins exigeant, on se contentait de peu. On faisait beaucoup de troc aussi. Quand j’étais enfant, je n’allais pas en colonie, j’allais à la ferme, à côté de Miélan, pour travailler. Là pareil tout le monde me connaissait : je ne faisais pas de 200 mètres que l’on m’interpellait en patois, parce qu’à l’époque tout le monde parlait patois. 

A la tuilerie, Monsieur Francou, avant la guerre, il avait déjà institué les allocations familiales qui n’existaient pas. Il allait visiter ses employés, il leur serrait la main. C’était d’ailleurs le gendre à Monsieur Dumas. Lartigue est mort rapidement, Dumas a suivi et c’est son gendre qui a repris derrière lui. Il n’avait pas d’héritier donc il a vendu l’affaire à une société. Il est passé une loi qui disait que pour être directeur, il fallait être ingénieur, alors, pour chacun des trois sites de la briqueterie, on a embauché trois ingénieurs qui n’avaient jamais fait une tuile de leur vie. Et c’est comme ça que la boîte a coulé. 

Donc vous êtes revenu à Agen en 1967, vous logiez chez vos parents, mais j’imagine que vous cherchiez à vous établir avec votre femme.

MG : Oui bien sûr. Mais je voulais rester dans le quartier car je le connaissais bien, c’est le quartier qui m’a vu grandir. On a acheté au 54 rue Belloc. Sans vouloir raconter ma vie, lorsqu’on était encore à Chambéry, on travaillait de 6h45 le matin à 19h30 le soir. On s’occupait de la mise en service des réseaux de téléphone dans les stations de ski. Il fallait qu’entre le mois de mars, après la fonte des neiges et le mois d’octobre, avant les premières gelées, tout soit en service. Pour cela, on faisait beaucoup d’heures supplémentaires qui nous rapportaient autant voire plus que la paie. Pendant que certains dépensaient au bistrot, je mettais mes économies de côté. Ce qui fait que ça nous a permis d’acheter la maison rue Belloc. Enfin partiellement, parce qu’on a fait un emprunt de 6 millions de francs et au total il nous en a fallu 9 millions de francs. 

Pour vous dire qu’il y avait des gens honnêtes, Monsieur Cazaubon à Bazens est un charpentier des Compagnons du devoir. Je le connaissais en lui livrant des tuiles à la tuilerie. C’était une connaissance toute relative, et malgré ça, je lui devais 2 000 francs pour les travaux de charpente de la maison. Vous rendrez quand vous pourrez m’avait-il dit ! Est-ce que vous entendez encore cela aujourd’hui ? Je me suis fait un devoir bien sûr de le rembourser rapidement.

Vous avez témoin de l’évolution de ce quartier, mais si aujourd’hui vous deviez le décrire en un mot, lequel choisiriez-vous ? 

MG : Je dirai que la ville ne se responsabilise pas. J’ai fait partie du conseil de quartier pendant 15 ans. Vous êtes bien placée pour me dire que le Casino est en train d’être démoli. On nous supprime le parking devant la porte pour mettre des arbres soi-disant. Alors on est allé voir le responsable pour savoir s’il était possible, au lieu d’en mettre 20 d’en mettre que 15 pour laisser quelques places. Ah il va étudier la question ! Pour nous faire plaisir peut-être, parce que si les conditions sont arrêtées, c’est immuable, ou presque. 

J’ai bien compris que la question du stationnement dans le quartier était un véritable enjeu. 

MG : Quand on a acheté rue Belloc, parmi les premières choses que l’on a faites, c’est un garage. Parce qu’on avait une AMI 6, c’était une Citroën, une voiture assez bien. C’était une voiture neuve, donc on ne comptait pas la laisser dans la rue, bien qu’à l’époque il n’y avait que trois voitures dans la rue. Donc on a fait un garage. C’était une maison qui avait 4 pièces, alors on en a transformé une en garage. 

Je vais revenir à cette notion d’Ecoquartier. Selon vous, que signifie un Ecoquartier ?

MG : Je dirais que si les choses sont bien faites, on n’en a pas besoin d’Ecoquartier. 

Pourquoi donc ? 

MG : Si votre voisin a un problème, vous n’attendez pas qu’il ait un problème, qu’il soit mort ou presque pour venir le secourir. Actuellement c’est le cas. Il n’y a plus d’entraide et de dialogue, même avec nos voisins. 

Ce constat est très intéressant, car nous avons le même pressentiment, car pour nous, l’une des ambitions de ce projet est de ramener du lien social, que les gens interagissent les uns avec les autres. 

MG : C’est une bonne chose ce que vous dites là. Je vous écoute. 

On se rend compte aujourd’hui que revenir aux valeurs les plus élémentaires telles que le partage. C’est pour ça que cet Ecoquartier est un moyen pour nous de repenser les espaces publics pour les rendre plus agréables et conviviaux, pour que les habitants du quartier se l’approprie davantage. C’est notre ambition aujourd’hui, de mettre à disposition les cartes nécessaires pour que les habitants puissent créer une vie quartier, leur vie de quartier. 

MG : Oui. C’est comme au don du sang. Si on donne son sang c’est pour quoi ? Pour qu’une personne qui est en train de mourir puisse être sauvée. C’est ça comme le reste. Rassurez-vous, on donne son sang si on veut, mais surtout si on peut ! Il ne faut pas se culpabiliser surtout ! C’est votre vie. Par contre, vous pouvez informer, comme vous faites là, avec cette exposition. Vous faites un effort énorme d’aller vers les gens. Je me rappelle quand j’étais jeune, c’était difficile. Alors maintenant j’ai un peu l’habitude forcément mais je reconnais que c’est bien de se mobiliser comme ça. 

Ce projet, pour lequel nous nous rencontrons aujourd’hui, me tient tout particulièrement à cœur. C’est un projet qui fait sens pour moi. J’espère que votre témoignage résonnera auprès d’autres personnes, que l’on s’identifiera à votre discours.

Sur ces belles paroles, je vous remercie, Maurice, pour le temps que vous m’avez accordé. J’espère que nos échanges vous ont fait plaisir autant qu’à moi, et j’espère que vous viendrez voir l’exposition et que vous relayerez dans le quartier. 

 

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Dernière mise à jour le 20/09/2022